Ces pauvres garçons qui violent à l’insu de leur plein gré
28/12/2012 à 17h29
Zineb Dryef | Journaliste
Des bouteilles dans un bar(mKB./Flickr/cc)
Un garçon bien sous tout rapport. Une fille en mini-jupe. Forcément en mini-jupe. Si ce n’est pas une mini-jupe, ce sera un pantalon moulant, un décolleté plongeant, une robe au minimum sexy. La fille (encore elle) chauffe le garçon – œillades, caresses, baisers. Elle envoie tous les signes promettant une folle nuit de sexe.
Ils boivent comme des trous. Ils prennent éventuellement un peu de drogue. La fille ne tient plus du tout debout. Le garçon non plus. Il ne s’embarrasse pas de scrupules : il saute sa camarade de fête. Pourquoi saute-t-il sa camarade de fête alors qu’elle est groggy ?
Parce qu’elle avait envoyé tous les signaux d’un consentement ;
parce que lui-même était un peu à l’ouest ;
parce que ça se passe toujours comme ça : avant le sexe, il faut pas mal d’alcool.
Violer ou faire la fête, pourquoi choisir ?
Le jeune homme qui nous explique ceci est l’auteur d’un témoignage qui fait grand bruit dans la blogosphère anglo-saxonne. Son titre « I’d Rather Risk Rape Than Quit Partying » pourrait être traduit par « Je préfère courir le risque de commettre un viol plutôt que d’arrêter de faire la fête » ou « Je préfère courir le risque de me faire accuser de viol plutôt que d’arrêter de faire la fête ».
Publié sur le site américain Good Men Project – une branche de la fondation du même nom qui promeut une masculinité éclairée et tente, via des livres et des conférences, de répondre à la question « qu’est-ce qu’un homme bon ? » – ce témoignage raconte les aventures d’une sorte de crétin pas franchement méchant, mais pas franchement subtil.
Souvent bourré aux fêtes, il ne sait plus trop s’il doit demander ou non leur accord aux filles (elles aussi bourrées) avec qui il envisage d’avoir des relations sexuelles. Un jour, l’une d’entre elles lui a annoncé qu’il l’avait violée pendant une fête. Choc.
Assez lucide sur lui-même puisqu’il comprend que coucher avec une fille sans son consentement constitue ce que l’on qualifie couramment de viol, l’auteur (anonyme) fait preuve d’une indulgence envers lui-même assez sidérante. Ainsi, en guise de conclusion de sa triste histoire, il écrit :
« Certains doivent trouver monstrueux que je continue à boire, que je continue à faire la fête [...] mais les gens qui ont eu des accidents de voiture arrêtent-ils de conduire ? »
Son analogie est idiote. Celle du type qui cogne quand il a bu mais qui refuse d’arrêter de boire semble plus appropriée.
Je l’ai violée sans le faire exprès !
On a envie de comprendre les raisons pour lesquelles l’équipe de « Good Men Project » a jugé utile de publier un tel texte sans aucune mise en perspective ni lecture critique.
Et c’est là qu’on tombe sur une autre publication sur le viol. Le 30 novembre, quelques jours avant le fêtard, une blogueuse, Alyssa Royse, racontait l’histoire de l’un de ses copains. Le contexte est à peu près le même que celui de la première histoire : fête, alcool, fille sexy et entreprenante. Pendant son sommeil, le copain la pénètre. Réveil : elle est choquée, se sent violée. Elle est violée.
Là encore, le garçon, dans un registre victimiste, explique qu’il ne savait pas, qu’il ne pouvait pas savoir. Il sombre dans la déprime.
L’auteure de « Les gentils garçons violent aussi », tout en insistant sur le fait qu’il s’agit bien d’un viol, n’a de cesse de nous rappeler que la fille « caressait les cheveux » de son ami et que finalement, ce n’est peut-être la faute de son pauvre ami mais celle de la société toute entière.
La pub et les magazines féminins, en encourageant les filles à se balader à moitié à poil pour conquérir les hommes, brouillent les signaux. Ces pauvres mecs sont devenus violeurs à l’insu de leur plein gré.
« “Non, c’est non” ne suffit pas »
Après le tollé suscité par ces deux témoignages, la rédactrice en chef de « Good Men Project » a justifié leur publication en insistant sur le fait que « le monde réel est un endroit où “non, c’est non” ne suffit pas » et que le point de vue des violeurs, qui ne se reconnaissent pas comme tels avant qu’une fille le leur fasse observer, devait être entendu.
Las. Plusieurs rédacteurs et collaborateurs du site ont démissionné. Ozy Frantz parce qu’il ne comprend toujours pas ce que fait le texte « terriblement immature » d’Alyssa Rose sur leur site, et encore moins celui du type qui ne peut pas s’empêcher de faire n’importe quoi bourré mais qui veut quand même prendre le risque parce que la fête, c’est trop rigolo.
Hugo Schwyzer démissionne lui parce qu’il ne pouvait plus supporter les insultes lancées aux féministes qui protestaient contre ces deux témoignages.
Qu’aurions-nous fait à Rue89 d’un tel témoignage ? J’ose espérer que nous aurions pris en compte la parole des violeurs mais que nous l’aurions confrontée à celle des victimes et à celle des chercheurs. Que nous aurions fait comme pour les pédopornographes : que nous aurions pris le temps de les écouter et d’essayer de les comprendre, sans pour autant les victimiser.
http://www.rue89.com/rue69/2012/12/28/ces-pauvres-garcons-qui-violent-linsu-de-leur-plein-gre-238161?utm_source=outbrain&utm_medium=widget&utm_campaign=obclick&obref=obinlocal