Déplacée pour "mobilité", la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy, spécialiste des dossiers de santé, résiste. Ses avocats s’apprêtent à saisir le Conseil d’État.
"Je vous informe qu’un décret vous déchargeant, à compter du 3 mars 2013, des fonctions spécialisées sera prochainement publié." La décision est tombée. Datée du 29 janvier dernier, la lettre de la directrice des services juridiques du ministère de la Justice, que le JDD a consultée, est brève mais définitive. Marie-Odile Bertella-Geffroy, l’emblématique magistrate des affaires de santé publique, doit arrêter d’instruire ses dossiers à compter du 3 mars prochain. Face à un début de polémique, le 27 janvier dernier, la garde des Sceaux, Christiane Taubira, avait pourtant annoncé sur RTL que la situation de Bertella-Geffroy serait désormais tranchée par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Selon le Secrétariat général du gouvernement (SGG), dans une analyse juridique du 24 décembre 2012, la juge serait victime de la loi de juin 2001 sur la mobilité des magistrats, qui leur interdit de rester à l’instruction pendant plus de dix ans. Seuls les juges nommés avant le vote de ce texte y échappent. C’est, par exemple, le cas de Renaud van Ruymbeke, inamovible. Et c’est là que le bât blesse. Marie-Odile Bertella- Geffroy considère en effet qu’elle appartient à cette catégorie des "intouchables".
Le décret du 26 février 2003, sur lequel se fonde l’administration pour la muter, l’avait nommée premier vice-président chargé de l’instruction. "Il ne s’agissait que d’un changement de titre ne créant aucun droit ni aucun avantage supplémentaire et n’entraînant aucune modification réelle de ses fonctions. Elle a été nommée premier juge d’instruction le 6 novembre 1990", explique son avocat, Lev Forster. La magistrate, qui, depuis, travaille sur les mêmes dossiers, n’a pas l’intention de se laisser déplacer sans broncher. Son avocat envisage de déposer une requête en référé en suspension et liberté devant le Conseil d’État.
"On prive des milliers de victimes de leur procès"
"Elle ne demande rien d’autre que de pouvoir terminer son travail sur l’amiante, poursuit Me Lev Forster. Il lui reste quelques mois pour y mettre un point final. Aucun magistrat n’est en mesure de prendre sa succession, il faudrait qu’il ingurgite des tomes et des tomes de procédures constitués au cours des seize années d’instruction." L’association des victimes de l’amiante partage cet avis. "On lui fait un tour scandaleux, s’insurge Michel Parigot, du Comité anti-amiante. Elle n’est qu’à dix-huit mois de la retraite et on prive des milliers de victimes de leur procès. Ce qui est très étonnant, c’est que l’administration avait assuré précédemment que Bertella n’était pas concernée par la mobilité."
Une pétition circule dans les couloirs du Palais de justice et dans les principaux cabinets d’avocat. "Je m’oppose à elle régulièrement, explique un ténor de la santé publique, mais on a l’impression qu’elle est victime d’un procès politique. Elle met en examen Martine Aubry et on lui demande de partir dans les quinze jours. La rapidité avec laquelle la chambre de l’instruction a décidé de se pencher sur la demande de nullité de l’ancienne ministre est révélatrice. Des mis en examen attendent depuis près d’un an qu’on étudie leur sort." Christiane Taubira affirme, de son côté, qu’il n’y a aucune chasse aux sorcières et que la logique administrative s’applique à tous les magistrats. Quels que soient leurs dossiers.
Marie-Christine Tabet - Le Journal du Dimanche
dimanche 03 février 2013
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